La Ferme de

Claire Curneen
Elsa Alayse
Olivier de Sagazan

Elsa Alayse, Claire Curneen, Olivier de Sagazan

Centrées autour du corps, les œuvres de ces trois artistes interrogent le rapport de l’humain à son essence physique, ontologique et spirituelle. Cette thématique est abordée de manière profondément viscérale et souterraine avec Olivier de Sagazan, tandis qu’Elsa Alayse la revisite par le biais de l’humour et Claire Curneen dans un registre éthéré mêlant religion et mythologie.
En terre, à laquelle il mêle paille, métal et autres ingrédients, les sculptures modelées d’Olivier de Sagazan lancent un cri silencieux à la nature humaine, à ce qu’elle possède de fragile, de sensible, de transcendantal. Des corps meurtris, des visages déformés, transpercés ou défigurés résonnent comme un appel muet au plus profond de l’être, là où réside le trait d’union reliant l’humanité entière. L’artiste exprime, à travers ces blessures béantes et inquiétantes, la peur de souffrir, de disparaître, la volonté de se battre pour rester en vie, la lutte pour la dignité qui touche une si grande partie de la population mondiale. L’Afrique et ses rituels n’est pas loin, car elle a imprégné son enfance passée sur ce continent encore proche des traditions et des représentations liées au sacré. On retrouve dans son iconographie des éléments empruntés aux masques et statuettes africaines, mais traités comme si ces affinités affleuraient d’un temps passé, car ces sculptures, par le traitement des matériaux, semblent avoir été exhumés de quelque fouille archéologique. L’argile dont sont faites ses œuvres, Olivier de Sagazan l’utilise aussi pour sa performance «Transfiguration» au cours de laquelle il s’enduit de cette matière pour transformer son propre corps et restituer visuellement les mutations que provoquent l’existence et le temps. Des photos des performances, retravaillées à la peinture, constituent un troisième volet de son travail, phase qui prolonge, à travers la couleur et la matière picturale, les changements corporels.

A mi-chemin entre les ex-voto et les modèles anatomiques utilisés en médecine, les figurines espiègles d’Elsa Alayse jonglent avec le jeu, la mécanique corporelle et le sacré. Cette artiste puise les racines de son inspiration dans l’iconographie populaire ainsi que dans les planches d’anatomie. De là naissent des petits personnages blancs, aux yeux cernés de noir, perdus dans une mystérieuse réflexion. Hors de temps, proches du fabuleux et du symbole, ils sont dotés de têtes disproportionnées, parfois privées de corps et posées sur des plats, ou alors ils sont pendus dans le vide ou attachés à une bouteille, comme les étranges objets d’un cabinet de curiosités. Entre sacralité et science, l’artiste semble hésiter, comme à vouloir renouer des liens que l’être humain a tenté depuis toujours de faire communiquer. Lorsqu’elle laisse apparaître les entrailles et le système cardio-vasculaire, Elsa Alayse affiche la mécanique physiologique comme la résultante d’un miracle et d’un tour de magie, avec un émerveillement proche de l’homme du XVIIIe siècle. Mais elle en souligne aussi le côté sacré, souligné par le rouge du sang, élixir de vie, qu’elle traduit aussi par le fil de laine pourpre.
Claire Curneen a choisi la porcelaine brute pour façonner des personnages de grande taille qu’elle crée à partir de fragments minutieusement pétris et assemblés, laissant apparaître d’invisibles cicatrices en surface. L’impression de fragilité est soulignée par l’attitude des corps, le regard baissé, les yeux à peine esquissés. Ils semblent empruntés, hésitant entre deux mondes. Si l’anatomie et les proportions sont respectées, le surnaturel n’est jamais absent. Il s’exprime par des papillons peints ou des fleurs en porcelaine envahissant un visage, par des branchages emprisonnant une tête, et aussi par l’utilisation de l’or comme symbole précieux du sang. Son travail s’inscrit ainsi dans le prolongement la tradition iconographique ancienne où cette matière précieuse symbolisait la divinité et l’éternité. Le sang doré déborde des blessures des St Sébastien qui ont longtemps habité son travail. Des flèches du saint martyr, l’artiste a glissé naturellement vers la mythologie et le mythe de Daphné et Apollon, passant de de la blessure infligée par le bois à l’union progressive entre le corps et le matériau ligneux. Là encore, le végétal pénètre la sphère corporelle dans un acte sacré, où la souffrance est sublimée.
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