La Ferme de

Barbara Cardinale
Lucie Kohler
Pablo Osorio

Zoomorphismes

Barbara Cardinale explore les mille et une facettes de la femme en affublant ses personnages de traits zoomorphiques. Biche, louve, aigle, lapine, la féminité se pare de tendresse, de malice ou de griffes avec un schéma iconographique qui se répète par séries. L’artiste utilise la technique du transfert pour le corps sur lequel elle greffe ensuite, de différentes manières, des parties d’animaux. Vues de dos ou de face, le buste nu, ces personnages féminins se démultiplient tout en retrouvant chacun une identité originale, grâce aux éléments qui sont rajoutés. L’image transférée perd de sa consistance réaliste pour devenir une ombre, un concept dématérialisé, surréaliste aussi grâce à la liberté avec laquelle les animaux viennent s’intégrer aux corps humains. L’hybridation est amenée avec une telle subtilité qu’il est difficile de discerner la prédominance de l’humanité ou de l’animalité. Du personnage on bascule dans la dimension de la métaphore, qui affleure presque naturellement de cette union poétique. La force évocatrice des images brosse un portrait sans complaisance de la nature féminine, avec une certaine brutalité, soulignée par le rendu estompé du dessin qui devient une trace, un reflet ne gardant que l’essence concentrée du message.

Luxuriantes, les œuvres de Lucie Kohler sont un fourmillement de détails pris indistinctement au réel, au mythe ou au rêve. Elles sont construites de manière théâtrale, avec un fond monochrome sur lequel se détache le plus souvent un décor végétal. Dans cet espace confiné, des personnages au premier plan sont présentés comme des acteurs qui regardent le spectateur. Mi-hommes, mi- animaux, ils empruntent leurs masques et costumes à diverses traditions et époques pour jouer de mystérieuses scènes aux multiples références culturelles, du masque du Lötschental à la Vénus de Willendorf en passant par les sphinx et les cultures amérindiennes ou balinaises. L’artiste nous ouvre un imaginaire infini où s’enchevêtrent contes et légendes qui renvoient inévitablement à l’humain, au-delà de l’anthropomorphisme de ces personnages. Quelques-uns d’entre eux sont sortis du dessin pour devenir sculptures. Rats, chauve-souris ou têtes reptiliennes font écho, par la fraîcheur et spontanéité du modelage gardant la trace du doigt, au rendu volontairement naïf des dessins que l’artiste s’applique à remplir avec des traits réguliers qui rythment la composition et résonnent comme un langage faussement enfantin. Lucie Kohler nous plonge dans un univers hybride, entre sérieux et comique, mythe et théâtre, qui renvoie à une mémoire collective ancestrale.
L’image de l’animal vient se poser délicatement sur celle de l’humain, dans les œuvre de Pablo Osorio, jusqu’à en épouser les moindres replis de l’âme. Avec une maîtrise technique de haute voltige, l’artiste travaille par couches superposées de gravures et d’aquatinte pour obtenir au final un dessin tout en profondeur et en transparences où homme et animal ne font qu’un. Difficile de déterminer si ce sont des bêtes anthropomorphiques ou des êtres humains zoomorphiques, car le mélange des deux est d’une extrême subtilité. En particulier dans la série des portraits, Pablo Osorio a su restituer, avec une précision chirurgicale et une volonté presque encyclopédique, la gamme infinie des caractères, défauts et émotions dont la représentation renoue avec les fables d’Esope. Il joue pour cela sur le ton de la dérision et de l’humour, sans pourtant jamais vraiment franchir la ligne de la pure caricature. Ailleurs, il suggère avec délicatesse l’intimité qui relie l’homme à l’animal, en s’inspirant des rituels chamanistiques et totémiques ou encore en brossant, sur le mode surréaliste, des scènes étranges où les deux espèces interagissent par le jeu, la domination ou l’imitation. Rigoureux, le travail de cet artiste fonctionne comme un miroir reflétant à l’infini la richesse de la nature humaine.
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