La Ferme de

Charlotte Herzig
Sarah Margnetti

TROPES

Pour leur première exposition commune, Charlotte Herzig et Sarah Margnetti, complices de longue date, proposent une vaste composition murale qui semble toujours osciller entre des états opposés. De l’ornemental au dénuement, du loufoque au poétique et de l’animé à l’inanimé, les images paraissent fixées dans la potentialité d’un mouvement à venir – rideaux en attente d’être tirés ou relevés, formes prêtes à couler, s’évanouir ou se démultiplier. Un effet de contrastes accentué par l’écart stylistique qui sépare le travail des deux artistes.
Pour « TROPES », Sarah Margnetti décline l’un de ses motifs de prédilection, de grands rideaux à l’échelle de l’espace qui suggèrent une scène délimitant la sphère de la fiction. Trompe-l’œil à la fois réalistes et schématiques, ils induisent une confusion de la perception entre la réalité et son image. De ces tissus-peaux émergent des corps parcellaires aux dimensions impossibles. Dans un cache-cache surréaliste et absurde de mains, nez, seins, oreilles ou fesses, Margnetti détourne avec humour les codes de l’érotisme. L’utilisation du jaune caractéristique des emoji évoque l’univers pop des bananes d’Andy Warhol ou des Simpsons. Ils composent un espace du jeu et de la représentation.
Souvent encadrés par les rideaux de Margnetti dans l’exposition, les motifs peints par Charlotte Herzig se déploient à la manière de protagonistes aliens : personnages d’une fiction onirique et mystérieuse. Avec Screen of Empathy, l’artiste délimite un cadre à la projection du spectateur qui est invité à prendre part à la narration élusive de l’exposition. Ailleurs, comme en suspension, ses formes puisées dans un quotidien halluciné, semblent toujours prêtes à se transformer pour créer d’autres images possibles. Dans sa peinture se trouve quelque chose du potentiel, une évocation de motifs ancestraux et futurs, une poésie abstraite à la symbolique polysémique et secrète.

En français, le « trope » est une forme figurée du langage qui transforme et détourne un mot de son sens premier. C’est aussi un élément ornemental ajouté ou substitué, destiné à embellir une musique liturgique. En philosophie, il s’agit d’un argument employé pour démontrer l’impossibilité d’atteindre une vérité absolue, pour suspendre un jugement. En Anglais, « trope » peut également signifier un élément récurent, un motif.
Comme dans l’ornementation décorative, les images de Herzig et Margnetti fonctionnent sur le mode de l’itération. La récurrence de motifs fait partie de leur pratique respective et leur signification s’éclaire aussi dans cette multiplicité continuellement renouvelée. « TROPES » : une répétition mutante, un ornement qui transforme le sens. On peut alors penser les formes de Herzig et Margnetti comme le vocabulaire d’un langage pictural qui puise dans le réel pour le (trans)figurer. Deux sémiotiques dont la rencontre renouvelée produirait un nouveau sens à déchiffrer.
Les peintures murales de Charlotte Herzig et Sarah Margnetti dialoguent à même les parois de l’espace d’exposition. Le lieu lui-même devient support et contenu, comme un décor à l’affût d’expériences sensibles. Jouant des associations formelles entre corps, motifs et espaces, leur travail fait écho à ce que Jean Cocteau écrivait au sujet de la Maison Tatouée : « Il ne fallait pas habiller les murs, il fallait dessiner sur leur peau ». Vouée à la mue, cette peau implique également la disparition programmée des œuvres. Indissociables de la situation créée, les peintures de l’exposition existent de façon transitoire, sur un mode aussi mouvant et volatile que l’expérience elle-même. L’art devient alors une transfiguration de l’espace par la peinture, un lieu en attente.

Gabrielle Boder et Tadeo Kohan, Collectif Détente