La Ferme de

François Burland

Petits et grands formats

Cavaliers chevauchant des loups, sarabandes de guerriers fantastiques, monstres enchevêtrés, personnages à la longue barbe recourbée, grimaçants de toutes leurs dents pointues : l’univers de François Burland est indéniablement celui du mythe et du rêve, des peurs ancestrales et des symboles immémoriaux, ponctué d’oiseaux, de serpents et de poissons. Ce mythe est à comprendre au sens de celui qui a marqué le XXe siècle, et que l’on retrouve dans la pensée de Jung ou de Levi-Strauss, en passant par Picasso, Max Ernst ou Pasolini. C’est-à-dire un langage universel qui se retrouve dans toutes les civilisations pour exprimer les mystères de nos existences. Par ce fait, l’œuvre de François Burland nous rattache à cette mémoire collective présente dans tout être humain, quelle que soit sa provenance et sa culture. Ses dessins touchent ainsi le visiteur dans son intimité, le renvoyant à ses propres fantômes et peurs qui affleurent du fin fond de l’enfance et qui s’incarnent dans ces figures tourbillonnantes.
Pour mieux comprendre cette démarche originale, l’artiste peut nous donner des clés qui nous font entrer dans cet univers par une autre porte. Un élément important réside dans le fait que François Burland est un autodidacte qui travaille de manière spontanée et intuitive. Comme il le dit lui-même, quand il dessine, il pense à tout autre chose, laissant ainsi une autre partie de lui-même prendre la relève et créer à sa place. Dans cette sorte de transe presque initiatique, il exécute ces dessins avec une rapidité extraordinaire, comme si les formes sortaient de lui dans le prolongement de sa main. Cette manière de procéder ajoutée à l’absence de formation académique le place dans une sphère proche de l’Art Brut, et plus exactement dans la section de la Neuve Invention, au sens que lui a donné Jean Dubuffet en 1982 pour indiquer les artistes en marge de l’art institutionnel mais qui ne sont pas insensibles aux influences culturelles. A ces étiquettes que les historiens de l’art aiment bien coller sur le dos des artistes, François Burland n’y attache aucune importance, et poursuit sa recherche sans se préoccuper de ce que la critique pourrait en penser.

Un autre élément essentiel dans la vie de l’artiste est le désert, destination où il se rend régulièrement depuis quelque trente ans. Vivre avec les Touaregs comme il le fait lors de ces séjours et être confronté à cet environnement à la fois fantastique et hostile, donne à l’artiste la sensation de vivre pleinement. Les expériences qu’il y fait, les couleurs du sable, les peintures murales dont l’Algérie est très riche, il les transpose ensuite dans ses dessins quand il revient chez lui, dans sa campagne vaudoise. Ce n’est d’ailleurs pas anodin si la couleur de ses premières œuvres a disparu au profit du noir et des teintes sourdes, celles du crépuscule, cette frontière entre le jour et la nuit que l’on retrouve d’ailleurs dans sa toute dernière production artistique constituée de photos.
Autre élément qui le rapproche de l’Art Brut, il travaille sur toute sorte de supports de récupération et de formats très différents, allant de la carte postale aux sacs papier des supermarchés mis bout à bout jusqu’à des dimensions de plusieurs mètres. Cette matière lui plaît particulièrement à cause des plis qui rythment la surface. De la même manière, il fabrique aussi des objets, bateaux, avions, fusées, voitures, à partir de matériaux récupérés dans les décharges. On y retrouve l’enfant qui a cette capacité de transformer le réel pour le faire entrer de plein pied dans son univers imaginaire.
Si son imagination retranscrit des scènes souvent inquiétantes, voire obscures, l’artiste conserve malgré tout cette capacité à les reproduire avec une fraîcheur dans la spontanéité du geste et une puissance créatrice qui ne laisse pas le visiteur indifférent. Car, même dans ce qui pourrait ressembler à une totale improvisation, la composition est toujours parfaitement équilibrée et cohérente, ce qui ajoute encore à la valeur extraordinaire de ces dessins.
Qu’il fasse résonner en nous cette nostalgie d’une enfance lointaine ou l’incarnation de nos peurs anciennes, le sentiment qu’il réussit à faire émerger en chacun est celle de la certitude d’appartenir et de participer à une pensée profondément humaine.