La Ferme de

David Jacot
Jacqueline Benz
Lucia Masu

Féminin pluriel

Jacqueline Benz présente plusieurs séries centrées sur la femme. La référence est parfois évidente, tirée de la peinture de la Renaissance ou de l’observation. D’autres œuvres, abstraites, inscrivent la temporalité par le geste répétitif d’un tracé coloré. Un premier ensemble est issus d’entretiens ou de rencontres avec des jeunes filles: d’elles; entrevues; Poltergeist. Ces dessins inspirés de la rencontre avec des jeunes filles ont démarré avec la lecture du livre Une voie pour l’insubordination, où Henri Michaux évoque les puissances du Poltergeist, esprit domestique dont la capacité malicieuse trouble l’ordre patriarcal et agite le foyer, quand ce sont de jeunes femmes qui l’exercent. Jacqueline Benz a rencontré Meret à Berne, Mariam au Caire et Astrid à Copenhague. En accompagnant dans leur quotidien ces trois personnes entre adolescence et âge adulte, l’artiste tisse des liens entre elles, basés notamment sur cette faculté à tourner leur énergie vers un avenir fait de projets et de rêves, tout en gardant un pied dans l’enfance. En même temps, elle les restitue avec leurs personnalités, attitudes et goûts bien définis qui déterminent la tonalité de chaque dessins, rendant uniques ces «jeunes filles éclipse».
Une deuxième série retrace le cortège des femmes de Saint-Pétersbourg, une image qui a refait surface chez l’artiste, quelques années après qu’elle se soit trouvée à avancer entre elles dans la rue. Alignées, tendant leurs mains avec, à l’intérieur, deux citrons, une tête d’ail, elles se confondent dans une dimension commune, représentées sans visage comme pour les faire encore plus appartenir au groupe. Quand elle termine cette série, l’artiste découvre un écho de son expérience russe dans un texte de Marina Tsvetaeva, Les flagellantes, qui parle des femmes se rapportant toujours au groupe: «elles n’existaient qu’au pluriel». Ces extraits, peints sur toile, correspondent exactement à l’anonymat de ces silhouettes alignées sans visage et viennent s’intercaler en touches de couleurs rappelant celles des fichus colorés des paysannes. David Jacot est entré dans l’univers de la création artistique par le biais de son animal favori, l’éléphant. De ces premiers essais en aplats de couleurs vives, sa fascination pour la femme a rapidement envahi son imaginaire. Après une période de surfaces colorées, le trait est apparu de façon naturelle, soulignant de manière fluide et libre les silhouettes élancées de ces personnages issus de magazine. Le plus souvent nues ou en maillot de bain, les figures ondoient et envahissent harmonieusement la page blanche, jouant entre les vides et les pleins, avec une élégance et un rythme étonnant. Il explore l’éternel féminin guidé par une curiosité respectueuse, en restituant à chacun de ses dessins une identité propre qui brise l’uniformisation de la mode véhiculée par les médias.

Ses personnages exhibant fièrement leurs attributs sexuels, mais l’érotisme omniprésent n’est jamais vulgaire et devient même mutin et espiègle, tandis que les imperfections dont il dote ces femmes les rendent profondément humaines et ancrées dans des histoires uniques. Tout récemment, il s’est surpris lui-même à dessiner un homme qui s’est immiscé de manière très naturelle au milieu cette gente féminine. D’observateur, David Jacot est finalement devenu acteur de sa vie et de ses dessins grâce à l’amour qu’il a rencontré dans son existence.Les matières parcheminées et les teintes que Lucia Masu utilise dans ses œuvres renvoient immédiatement à la peau. Pour renforcer cette sensation, elle perfore les surfaces en y soufflant du pigment pourpre, comme on le faisait pendant la Renaissance italienne pour reporter les dessins du carton au mur avec la technique dite du spolvero. La représentation du corps est au centre de ses dessins, un corps ligaturé et malmené, arc-bouté dans des positions extrêmes, contraint dans des espaces limités, entravé par des fils et des bandes de tissu. L’harmonie des postures acrobatiques empruntées au yoga s’oppose aux limites qui sont imposées aux membres, comme pour illustrer la difficulté qu’il y a aujourd’hui à s’épanouir dans une société occidentale toute-puissante contre laquelle l’inertie semble la seule opposition possible.
Dans d’autres réalisations, l’artiste zoome sur une partie du physique, un pied, une main, un nombril qui, agrandis à l’extrême, deviennent des éléments universels, des métaphores de l’individu dans lesquelles chacun peut se raconter son histoire. Par le travail de perforation de la surface, Lucia Masu crée un lien entre l’intime et le monde extérieur, touche au rituel et à la mémoire, celle que concrétise la trace de l’existence sur la peau. La représentation du nombril traduit également ce lien qui se fait entre l’origine prénatale et le départ vers le monde extérieur par la coupure du cordon ombilical. Tout son travail se concentre ainsi sur l’essence même de l’existence humaine, sa précieuse fragilité qui en fait toute la force créatrice.

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