La Ferme de

Iseult Labote

Alchimies urbaines

Profondément urbains dans leur essence, les chantiers font partie de la banalité de notre environnement. Et pourtant, à y regarder de plus près, ils sont les derniers endroits où l’anarchie et le chaos règnent encore, comme aux prémices de la création. C’est au cœur de ce magma emblématiquement citadin que l’artiste Iseult Labote promène son appareil photo comme un chercheur d’or. A l’affût de détails insoupçonnés, elle sait attendre le moment exact où la lumière transformera la matière en lui rendant sa primordiale beauté. Pour accentuer l’esthétique de ces objets, Iseult Labote les monumentalise pour en révéler au mieux les textures et les décontextualiser de leur origine triviale. Les plastiques se font alors vif argent ou voilages précieux, les boîtes rouillées offrent au soleil couchant leurs reflets vermeils et flamboyants tandis que les caoutchoucs enroulés s’offrent comme d’étranges roses aux bruns chaleureux. Dans le détail, la matière se confond avec l’abstraction de motifs répétés, exaltant la beauté des lignes pures, exemptes de leur triviale signification première.
Ready-made et sculptures
L’aboutissement de son œuvre photographique l’annonçait déjà; Iseult Labote n’avait qu’un pas à franchir pour passer à la tridimensionnalité et à l’utilisation directe des matériaux de construction. Répondant à la même exigence d’exprimer la beauté intrinsèque de ces matières, l’artiste a créé des ready-made avec des bandes bleues périphériques enroulées et placées dans des boîtes. Ces «Variations en bleu», s’appuient sur la force de leur couleur envoûtante et leur matière sensuelle qui sont une invitation au rêve. La série «Tamiseurs» mise sur la beauté des grilles-tamis et de leurs textures différentes sur lesquelles les chiffres correspondant aux différentes mesures deviennent des éléments décoratifs.

Avec «Empreintes», Iseult Labote rend hommage à la fois à Niele Toroni et à l’art conceptuel: sur des plaques grillagées, elle forme les initiales des grands musées d’art du monde à l’aide de vis et de boulons aux formes diverses. Enfin, un empilement des plaques de polystyrène extrudé de couleurs et d’épaisseurs différentes crée des bas-reliefs qu’elle intitule «Strates». Ces assemblages de matériaux fonctionnels sortis de leur contexte habituel répondent, comme dans les images photographiées, au souci de l’artiste de focaliser sur des fragments de réalité décontextualisés pour leur conférer le statut d’œuvre d’art.
Vapeurs orientales
Au cours d’un voyage au Japon, l’artiste a poursuivi ses explorations urbaines en découvrant par hasard des bains publics dans un quartier populaire. A travers les judas, percés dans les parois de la chaudière, que les patrons de l’établissement utilisent pour contrôler le bon déroulement des ablutions de leurs clients, Iseult Labote a placé son objectif, photographiant à la dérobée des images sans aucune possibilité de cadrage étudié. Le développement de ces clichés lui fait découvrir un monde intime que son indiscrétion n’a en rien défloré. Une grande pudeur se dégage en effet de ces images à l’atmosphère presque amniotique, tant par les positions fœtales de ces hommes et de ces femmes que par la douceur ouatée de la chaude buée qui atténue la lumière et les couleurs. Si cette série est à considérer comme une sorte d’excursus dans son parcours, elle n’en possède pas moins la signature de l’artiste quant à l’attachement au détail urbain qui passerait inaperçu sans le regard créateur qui le fait renaître en le sublimant.