La Ferme de

Ivo Vonlanthen
Xavier Cardinaux

Vibrations végétales

Telles des peaux en vibration, les peintures et dessins de ces deux artistes fonctionnent comme un passage entre deux mondes, le réel et le pictural. Densité et transparence s’alternent pour des matières aériennes, aquatiques ou terriennes qui sont les résidus essentiels de visions et d’impressions de paysages vécus ou rêvés. Avec une sensibilité pour les couleurs qui frise la virtuosité, Ivo Vonlanthen et Xavier Cardinaux se trouvent ici à dialoguer à travers leurs compositions qui ont pour essence la nature, le paysage, le jardin.
Simples surfaces en apparence où s’enchevêtrent des éléments en suspension, les peintures de Xavier Cardinaux révèlent lentement au regard des profondeurs hypnotiques, proches de paysages célestes ou sous-marins. De ce magma primordial et tourbillonnant prennent forme des univers, dont l’origine végétale demeure dans les silhouettes de fleurs et de feuilles. Ces peintures oscillent continuellement entre reflet du réel et vortex abstrait qui capture l’attention du spectateur pour le projeter littéralement dans des méandres de matières sensuelles et onctueuses. Même lorsque le jardin apparaît de manière plus évidente, arbres et bocages se perdent très vite dans un langage purement pictural, fait de taches colorées, juxtaposées et superposées dont les contours incertains se fondent dans l’imprécision du geste que l’on sent presque inconscient, conférant fraîcheur et spontanéité à l’ensemble. Cette liberté de la main semble plus évidente dans les petits formats où, en quelques touches, naissent les contours d’arbres fantomatiques, ainsi que dans les compositions plus récentes où l’artiste réussit à disposer les taches de couleur en restant à la limite du chaos. On y sent le reflet des entrelacs des «Pluies de fleurs célestes», nom donné à une série où d’étranges et inquiétantes floraisons viennent envahir la surface de la toile par des lignes sinueuses qui créent un rythme ondoyant presque mystique. La poésie est omniprésente dans les œuvres de Xavier Cardinaux, ne serait-ce que par la tonalité d’ensemble donnée par une dominante chromatique que l’artiste exalte en lui apposant ses contraires, comme le ferait le poète avec des mots choisis pour leur qualité sonore. La parole est importante pour l’artiste, comme l’attestent les titres dont il souligne la majorité de ses œuvres. Concentrées sur une surface clairement délimitée, ces compositions de petite dimension constituent des univers en miniature, qui apparaissent comme le germe de la peinture monumentale à venir, sans que cela ne leur ôte leur autonomie d’œuvre à part entière. Comme dans la nature, les différentes réalisations de l’artiste sont reconnaissables par un lien presque organique qui les réunit, telles les facettes changeantes par l’effet des saisons sur un même paysage.

Contemplatif et éthéré, l’univers d’Ivo Vonlanthen est suggéré par quelques traits ou taches de couleurs, selon un langage épuré que l’artiste a développé depuis de nombreuses années déjà. Des premières gravures où s’entrelacent des lignes nerveuses, conférant un rythme soutenu aux compositions, jusqu’aux dernières peintures à l’huile, faites d’aplats d’une grande richesse chromatique, on reconnaît aisément le fil conducteur, celui de l’observation de la nature, point de départ incontournable pour ses œuvres. Celles-ci sont souvent directement exécutées à l’extérieur, sur des légers papiers de riz où ses pinceaux chinois viennent transcrire fugacement les impressions, non seulement visuelles, mais, semble-t-il, auditives et odorifères aussi. On ressent dans ces dessins à l’encre une sorte d’urgence, de peur de voir d’effilocher ces sensations subtiles et éphémères recueillies précieusement. Proches des haïkus, épigrammes japonais, les dessins d’Ivo Vonlanthen dévoilent avec une semblable essentialité une gamme infinie de nuances et de ressentis. La peinture représente un pendant indissociable aux dessins. Après une série où, dans la couche d’huile aux couleurs ténues, l’artiste traçait les frêles silhouettes d’herbes et de feuillages, la matière picturale s’est étoffée, laissant de côté toute intervention de grattage. La toile se recouvre de taches qui se superposent et s’associent par affinité de teintes, offrant au regard des ambiances totalement différentes bien que de facture proche. Vivacité et rapidité du geste y demeurent visibles ainsi que la traduction en tonalités picturales des observations préalables du paysage. Car il s’agit bien de paysages à nouveau, avec peut-être un angle de vision élargie qui aurait laissé de côté les contours des objets pour n’en garder que les atmosphères, la lente déstructuration par la lumière. L’analogie avec la pixellisation de la photo digitale est latente, même si on observe ici un procédé bien plus complexe que la simple décomposition objective de l’image. L’artiste fragmente, mais dans un souci de retrouver l’essence même des choses, leur intrinsèque vibration, qui résonne, à l’instar du titre donné à sa série la plus récente, comme un chant de la terre.
/// Ivo Vonlanthen
/// Xavier Cardinaux