La Ferme de

Cécile Perra
Christine Célarier
Isabelle Racine et Laura Thiong-Toye

Sacré profane

Depuis leur rencontre à la HEAD de Genève, Isabelle Racine et Laura Thiong-Toye ont commencé une œuvre tentaculaire à quatre mains. Petits, moyens et grands formats, peints à l’acrylique sur plaques agglomérées, foisonnent de sujets très divers, puisés dans l’imagerie populaire, religieuse, publicitaire, et glanés partout où se pose leur regard. Il en résulte un corpus sans fin et extrêmement varié où la décoration et le cadre revêt autant d’importance que les sujets eux-mêmes, peints de couleurs très vives, ce qui rajoute une note de kitsch sur laquelle cette originale production artistique se tient en équilibre. La présentation également joue sur le même ton de feinte dérision, avec des compositions murales sur des étagères où les œuvres sont placées sans ordre apparent, les unes par-dessus les autres, ou alors arrangées dans des bacs où le visiteur est appelé à chiner comme sur un marché aux puces. Cette accumulation d’objets pose la question du statut d’œuvre d’art, de la désacralisation des sujets, tout en faisant écho aux ex-voto qui couvrent les murs de certains lieux de culte sans aucune hiérarchisation ou souci d’accrochage harmonieux. Le rappel de ces représentations populaires transparaît dans la facture en aplats par teintes flamboyantes ainsi que dans l’iconographie mêlant sacré et profane avec désinvolture. L’originalité de ce travail réside aussi dans la collaboration étroite de ces deux artistes dont les imaginaires fusionnent pour produire une œuvre qui se renouvelle sans cesse par émulation réciproque des plasticiennes.

La sacralité parcourt l’œuvre de Christine Célarier qui en détourne les images et les objets s’y rapportant habituellement. De la figure de saints, reprise à des peintres renaissants, jusqu’au calice et autre reliquaire, elle recrée un univers personnel et intime, incarné dans la condition humaine. Le corps douloureux, l’extase, la plasticité des plissés sont extraits, retravaillés, retranscrits dans des compositions qui ne gardent que l’essence et la beauté indissoluble des originaux. Lorsqu’elle détourne un objet de rite, elle n’en annihile pas sa fonction première qui est de rendre visible ce qui ne l’est pas par la métaphore. Mais au lieu de pointer vers une spiritualité religieuse, elle souligne des éléments profondément humains, comme la souffrance, la migration, la maladie, les rendant précieux par le réceptacle sans équivoque qui les contient. Un air étrangement familier règne sur ces œuvres dont on reconnaît les silhouettes ou les matériaux, mais que le réassemblage parfois incongru transforme en objets non plus cultuels mais universels.
L’univers artistique de Cécile Perra, bien que polymorphe, est traversé par une même technique du collage et de la couture. Dessins ou objets portent tous cette signature commune qui les réunit en une immense famille de personnages les plus invraisemblables. Sortis d’un imaginaire qu’on sent fourmillant de souvenirs, d’imagerie populaire, d’histoires à raconter, ces œuvres tendent tour à tour vers l’illustration, la photo de famille, l’objet rituel. Si l’on ne peut parler directement de sacré, il émane néanmoins de ces travaux un côté fragile et attentionné dans la facture qui les rend précieux et uniques comme des reliques du passé que l’on préserve avec soin. Comme elle le dit elle-même, après ses années d’apprentissage aux Beaux-Arts, elle s’est appliquée à «désapprendre», au contact également avec des artistes en situation d’handicap mental qu’elle a suivi pendant plusieurs années. Cette recherche d’essentialité de l’acte artistique l’a conduite vers un geste libéré et spontané qui ouvre toutes les portes du possible.

/// Isabelle Racine et Laura Thiong-Toye
/// Christine Célarier
/// Cécile Perra