La Ferme de

Céline Salamin
Charlotte Nordin
Delphine Sandoz
Marie-Noëlle Leppens

Mémoire du vivant

Essentielles dans leur forme, les sculptures de Marie-Noëlle Leppens remontent le cours de l’Histoire pour retrouver les silhouettes primordiales des outils et architectures archétypales. A partir textes sur les instruments de travail antiques ou anciens, elle en remodèle les formes en terre en éliminant tout détail anecdotique. Elle ne garde que les lignes qui les rendent reconnaissables tout en les faisant transcender l’élément utilitaire pour accéder au statut de concept artistique. Les titres donnés aux œuvres sont tirés des mythologies celtiques et antiques, ce qui confirme la dimension légendaire et symbolique de l’objet. De ces objets façonnés en plans et volumes agencés sont conçus dans une volonté d’imperceptible déséquilibre qui leur confère un mouvement élégamment opposé à la puissance de leur masse. Des courbes et des diagonales déviées accentuent l’impression d’asymétrie qui allège les volumes sans en ôter la force. Le traitement des surfaces aussi joue sur une autre ambiguïté, celle des matières qui semblent issues d’une mystérieuse fusion entre pierre, terre et métal. Le thème de l’édifice est abordé en parallèle selon ce même principe d’annihilation des ornements, pour que ne subsistent plus que les quelques lignes fondamentales qui évoquent l’idée de maison. Toits à deux pans, portes et parfois ouvertures se transforment en éléments graphiques conférant un rythme aux surfaces et aux masses. Régies par une longue réflexion autour de l’objet, les sculptures de Marie-Noëlle Leppens concentrent histoires de vie, labeur et mémoire collective dont elles se font les gardiennes.
Chez Delphine Sandoz, d’abord il y a la couleur, puis vient la forme. Une forme qui se répète depuis ses débuts, et qui revêt les traits du contenant, du vase. Les grands aplats de couleurs vives, où prédominent le bleu ciel intense, le rose bubble-gum, le carmin et le noir, s’organisent sur la toile pour recréer un espace entièrement pictural. Enfouis sous ces couches flamboyantes, on devine des éléments que l’artiste inclut, bouts de tissu ou papiers anciens qui donnent de l’épaisseur à la peinture et lui confèrent une autre matérialité. Tout est exploration dans ce travail qui est gestuel sans être tripal, où l’on sent très fortement cette connexion entre la couleur et les émotions, sans pour autant en être agressé, car la violence est contenue, puissante et déterminée comme une énergie vitale qui sous-tend les compositions. Dans un dialogue continu, la forme et la couleur se répondent pour s’extraire de l’abstraction et se plonger dans une dimension schématique, sensorielle, émotionnelle, celle délimitée par le rectangle de la toile. Si le vase est récurrent dans l’œuvre de Delphine Sandoz depuis les premières créations, la figure humaine a fait son apparition pendant une période et tend progressivement à s’estomper, comme un souvenir qui s’enfouit à nouveau dans l’oubli. La mémoire joue d’ailleurs un rôle essentiel dans ce travail ainsi que l’expérience de vie, que l’artiste mêle à ses couleurs pour les restituer dans un vocabulaire dense de matière colorée éclatante, et déroutant par les formes si simples et énigmatiques en même temps. Sa maîtrise de la palette chromatique apporte à ses toiles une immédiateté de perception, facilitée par l’absence d’éléments inutiles et par ce langage pictural essentiel et pur.

Céline Salamin aime les détails, ceux du corps ou de l’environnement quotidien, ceux qu’on ne regarde pas. Nombrils, oreilles et ici les mains la fascinent par leur complexité et unicité, avec leurs formes qui se répètent sans jamais se ressembler. En explorant toutes les facettes d’un même sujet, l’artiste tend à atteindre le concept d’universel. Elle passe pour cela par l’accumulation infinie du particulier qui, présenté en série, montre à la fois l’originalité des formes et leur parenté troublante, essence de l’humain. Décontextualisées, les mains que Céline Salamin représente isolées sur fond clair, sont sélectionnées à partir de tableaux renaissants, baroques ou classiques, souvent de créateurs célèbres. Elle demande à un modèle de poser dans l’attitude exacte de l’œuvre d’origine pour n’en dessiner que les bras et les mains. Par ce procédé, elle invite le visiteur à se focaliser sur cet élément essentiel, instrument du geste qui exprime les émotions et donne tacitement du sens à la composition. Avec un réalisme qui qui ne nie pas l’aspect pictural, la plasticienne rend hommage à la tradition tout en lui offrant une vision contemporaine. En soulignant une gestuelle universelle qu’elle personnalise, l’artiste fait resurgir le souvenir de l’œuvre originelle et lui confère une autre existence. Mis côte à côte, ces tableaux deviennent les fragments d’une mémoire collective. En parallèle, elle a développé une série de petites peintures représentant fleurs ou légumes exécutés d’après nature sur des supports originaux, assiettes en carton ou papiers peints. Pommes de terre germées, tulipes turgescentes, peaux de bananes ou coquilles d’œufs dépassent ainsi le modèle de la nature morte pour s’inscrire dans une théâtralisation du contingent qui devient précieux et fragile, remarquable. Ce sont des petits fragments de son quotidien qu’elle nous livre au compte-gouttes, pour nous faire partager sa vision qui va au-delà de l’apparence des choses.
Profondément ancrées dans le végétal, les céramiques de Charlotte Nordin sont empreintes de mystère, voire parfois de magie. Elle avait présenté dans ces murs deux installations sonores, Conversations en 2008 et Les glands de Vénus en 2010. Elle revient avec une œuvre participative, Living Landscape, qui va grandir au fil de l’exposition, grâce à la contribution active des visiteurs. Comme un paysage fluctuant et mouvant, ce travail en commun est appelé à se développer comme un organisme vivant. Le monde de la nature constitue en effet un fil conducteur essentiel dans le travail de cette artiste, dont les racines suédoises ont contribué à développer son goût pour les paysages de forêts, qui jouent un rôle important dans les contes et légendes scandinaves. Dans toutes ses réalisations, on retrouve des formes qui rappellent l’univers des plantes: troncs, cocons, fonds marins sont autant de réminiscences qui émergent de ses céramiques. Le concept d’œuvre participative, s’il est nouveau dans sa production jusqu’à aujourd’hui, n’est pourtant pas complètement étranger à sa démarche artistique qui joue avec les surprises que peut réserver la terre lorsqu’on la cuit, par exemple. Ici, c’est le public qui joue le rôle d’incontrôlable, puisque les visiteurs vont modeler la terre avec l’artiste et faire croître la sculpture à leur manière. Pour Charlotte Nordin, la matière est essentielle pour garder un lien avec le réel et se reconnecter avec une énergie tellurique presque spirituelle, en opposition à la vogue du virtuel. Une performance conçue autour de l’installation permet à l’artiste d’initier ce processus d’œuvre participative en exprimant, par l’intervention d’un musicien, le lien profond qui relie l’acte créateur à la matière.
/// Marie-Noëlle Leppens
/// Charlotte Nordin
/// Delphine Sandoz
/// Céline Salamin