La Ferme de

Tami Ichino
Théodora

Entre ciel et perles

Derrière l’éclat séduisant de leurs couleurs et matières chatoyantes, les œuvres de Théodora questionnent sur l’essence du temps, de la création, de la transformation. L’artiste poursuit ces thématiques d’une sculpture à l’autre, voire d’une exposition à l’autre, à travers une correspondance de formes et de teintes qui se développe progressivement, poursuivant une dialectique continue et cohérente. Le fil coloré, les perles, les coquilles d’œufs et le papier constituent la base de son langage qu’elle décline dans une palette de formes récurrentes et pourtant à chaque fois réinventées. La ligne ondoyante se refermant sur elle-même, tel le symbole de l’infini, peut assumer des apparences et significations différentes selon les pièces. Magnifiée, elle rappelle les filaments d’ADN contenus dans les noyaux cellulaires, tandis qu’elle s’élève en tour lorsqu’elle est fortifiée par des baguettes de bois, ou encore se transforme en parure royale lorsque des perles blanches en recouvrent la surface. Le cycle infini de la création et du temps se traduit par la complémentarité homme-femme mise en évidence par des jeux de couples de sculptures (Gaïa et Sisyphe, Eros et Aphrodite), et plus subtilement, par l’utilisation originale en mosaïque de la coquille d’œuf. Toujours dans cette volonté de continuité temporelle, des objets d’une exposition précédente poursuivent leur existence dans une nouvelle présentation, comme les grands œufs brisés en papier de soie de l’installation Icare, qui deviennent les chapeaux de ces étranges Danseurs lunaires à la venimeuse beauté. Mais l’inexorable écoulement du temps est également symbolisé par le mouvement, qu’il soit suggéré par la forme tourbillonnante ou plus explicitement généré par la suspension de certaines sculptures. Cette proposition dans l’espace questionne par ailleurs sur la signification et la pertinence du socle, que l’artiste conçoit et réalise comme une continuité de la sculpture. Ce souci d’œuvre d’art globale s’étend à l’ensemble des créations de Théodora, qui forment un corpus presque organique par leurs modifications évolutives et cohérentes.

Les peintures de Tami Ichino s’ouvrent sur des fragments de ciels comme des interrogations sur l’infini, l’invisible. Devant ces surfaces azur, traversées de sillages d’avions ou trouées par la lumière des astres, le regard s’envole, cherchant à sonder de mystérieuses profondeurs. L’infini entier se concentre dans ces toiles que la dimension réduite rend précieuses, presque fragiles. La traînée de nuages et la lueur ponctuelle des étoiles entrouvrent la porte sur ce que l’artiste cherche à nous montrer, ce qui se cache derrière et que l’œil humain ne peut percevoir même s’il le pressent. Le silence enveloppe ces toiles sur lesquelles parfois se découpe un objet incongru par son isolement et sa décontextualisation. Girouette, horloge, drapeau de golf, branche ou épi de blé, tous sont vus du bas vers le haut, comme pour nous indiquer le véritable sujet du tableau. L’artiste brouille les cartes en les peignant sans leur environnement habituel, comme des monuments dont on ne sait plus la dimension. Dépourvus de détails superflus, ces objets aux lignes essentielles deviennent emblématiques, sources d’inspiration; ils se font les témoins d’une réalité invisible, mais que leur présence rend presque tangible. Car Tami Ichino utilise la peinture comme le poète les mots, dans le but de révéler l’indicible par la litote, la métaphore, l’allitération. Faut-il voir des traces d’écriture dans ces fils qui retiennent une tige de bambou vert? Le poteau électrique aurait-il des velléités d’envol pour qu’on le retienne ainsi par des câbles? Enigmes et balbutiements de réponses se font écho dans ces images à la beauté dépouillée et d’une simplicité émouvante, qui invitent inexorablement à la contemplation et au questionnement.
/// Tami Ichino
/// Théodora