La Ferme de

Sébastien Mettraux

En suspens

Séduisantes par leurs couleurs et familières par les sujets, les toiles de Sébastien Mettraux provoquent très vite un sentiment d’étrangeté, qui se manifeste avant tout par l’absence humaine. Villas idylliques, abris antiatomiques ou, plus récemment, machines industrielles magnifiées, tous ces lieux semblent suspendus dans une temporalité indéterminée, un interstice entre le déjà et le pas encore advenu. La série récente, intitulée «Ex Machina», met en scène des machines industrielles, que l’artiste a expérimentées par le travail ou l’observation. Présentées de telle sorte que leur échelle de grandeur ne soit pas référencée, elles révèlent leur beauté sculpturale, soulignée par un chromatisme flamboyant, calqué sur le réel. La fascination de l’artiste pour ces mécaniques aux formes étonnantes est palpable. Ainsi sorties de leur contexte de production, il est difficile d’imaginer leur destination originelle. Elles en deviennent énigmatiques, cristallisées dans cette immobilité et ce silence inhabituel, telles de mystérieuses natures mortes. Avec «Derniers Paysages I», Sébastien Mettraux nous fait pénétrer dans des abris antiatomiques reconstitués avec une rigueur presque scientifique. Ces espaces confinés aux murs de béton gris sont présentés avec des perspectives labyrinthiques qui annihilent toute vicissitude d’échappatoire. Peints sur des petits ou moyens formats, ces paysages cloisonnés sont rehaussés d’éléments colorés –  tuyauterie, caisses et autres containers – dont ils deviennent ainsi les reliquaires. Plus qu’abandonnés, ces lieux semblent en attente, comme figés dans le temps, dépourvus de tout détail anecdotique. Les différents éléments qui les composent participent à la construction de l’ensemble, comme autant de plans organisés et imbriqués semblant uniquement répondre à des principes géométriques. L’artiste anticipe ici une réalité post-apocalyptique, la dernière que nous aurons à voir en cas de catastrophe.

Les luxueuses habitations de la série «Derniers Paysages III» ont pour objet les images de synthèse des catalogues immobiliers montrant les futures constructions réservées à un public fortuné. Ces vues à l’esthétique absolue ont remplacé pour l’artiste les codes de représentation du paradis tel qu’on se l’imagine depuis la Renaissance. Dans un registre oscillant entre idéal et artificiel, ces bâtisses entourées de verdure exagérée sous un ciel tout aussi inventé s’inscrivent à la fois dans l’idéal architectural du Corbusier et dans la tradition des peintres qui ont sublimé la Riviera lémanique. Sébastien Mettraux en montre ici un avenir vendu comme paradisiaque, telle une manière de se protéger contre l’incertitude du futur.

Les motifs que l’artiste obtient par la gravure sont issus d’images déjà existantes en tant que multiples. Il les reproduit dans une version artisanale et volontairement imparfaite produisant des vibrations de surface qui leur confère un relief intéressant. Le choix est déterminé par la forme de l’original qui doit se rapprocher de l’abstraction, permettant différentes interprétations, comme ces «cornets de glace» qui schématisent en vérité une explosion atomique.

Quel que soit le sujet, Sébastien Mettraux s’intéresse au faire, à la manière, à la technique elle-même. Le propos immanent de ces tableaux est en partie aussi la peinture à l’huile, qui lui permet ces subtiles variations de teintes. L’irrégularité du trait, perceptible lorsqu’on regarde ses toiles de près, participe à sublimer la picturalité de ces œuvres. Absent de ses toiles, l’humain refait surface de manière indirecte dans les imperfections du geste pictural qui relèvent de la fragile et infranchissable limite entre représentation et réalité.

///Sébastien Mettraux