La Ferme de

Christine Boillat
Isabelle Ménéan
Pierre Thoma
Stéphanie Jeannet

Autres réalités

Suspendus entre le rêve et la réalité, les dessins de Christine Boillat parlent de vie, de mort et de transformation. L’obscurité et la lumière se disputent le premier rôle, dématérialisant sur leur passage les formes arborescentes et végétales qui ressemblent à de fantomatiques présences. Dans ce décor évanescent, la lueur des ampoules accrochées aux branches et reliées entre elles par un fil continu fait vibrer l’atmosphère d’une luminescence aussi mystérieuse que la clarté des lucioles. Leur halo semble pénétrer dans le sol et les écorces pour les faire luire de l’intérieur. Le temps s’est arrêté dans ces forêts désertées au caractère de contes de fées. Et pourtant, à y regarder de plus près, la présence humaine hante les lieux, des êtres sans visage, perchés sur des échasses, une voiture accidentée, tous phares encore allumés, un cirque illuminé au milieu de nulle part. Fantômes ou esprits, ils errent entre deux mondes, celui de l’obscurité mortuaire et celui de la renaissance à laquelle œuvrent les milliers de mouches, qui peuplent les lieux dans un grouillement sourd. Tous ces éléments concourent à créer un cycle de vie et de mort en perpétuelle mutation, fait d’ombres et de lumières, fantastique métaphore de l’existence.
Les dessins de Stéphanie Jeannet ouvrent une porte vers une dimension parallèle où perspective et proportions sont régies par des règles différentes. Tel un kaléidoscope dans lequel s’imbriquent des réalités étranges, ces compositions naissent de la fusion entre l’humain et l’animal, dans des espaces à mi-chemin entre nature et monde moderne. Les personnages aux têtes démesurées interagissent avec leur environnement selon la logique de l’association improbable d’idées, proche du fonctionnement surréaliste. Habillés souvent de costumes zoomorphiques, garçons et filles ne fixent jamais le spectateur, préférant plonger leur regard mélancolique vers l’ailleurs, ce qui accentue l’étrangeté de l’atmosphère. Alors qu’ils semblent nous observer, en fait ils nous transcendent, indifférents, pointant leurs yeux au-delà de notre monde. Inquiétants et empreints d’une sourde nostalgie, ces dessins parfois rehaussés de couleur sont autant des recueils d’histoires en attente de narrateur.

Fluides et ondoyantes, les aquarelles d’Isabelle Ménéan sont des univers flottants, suspendus au blanc du papier. Sa gamme chromatique explose en formes diverses, florales ou animales, créant des bouquets multicolores et lumineux de fleurs extravagantes dans lesquels prennent vie des oiseaux fantastiques. Cette symphonie flamboyante, où se fondent toutes les couleurs de l’arc-en-ciel dans une suite harmonieuse de fondus-enchaînés, ressemble à la masse magmatique à l’origine de la création artistique, dont le mouvement incessant donne naissance à des mondes en miniature, peuplés de formes étranges. Parfaitement maîtrisé, le geste de l’artiste connaît les secrets de l’aquarelle et sait jouer avec son humeur parfois fantasque pour en tirer des effets de dégradés jouissifs et sensuels. Féeriques et intrigantes, les œuvres d’Isabelle Ménéan sont aussi fascinantes et insaisissables que le souvenir éphémère d’un rêve au réveil.
Percevoir le réel en captant les sons qui en font son essence immatérielle, tel est le fil conducteur des compositions de Pierre Thoma. A partir de ces sonorités, prises à la nature, au monde industrialisé ou à la voix humaine, il recrée des séquences qu’il tisse à partir de ces différents enregistrements. Il les juxtapose, les répète, les superpose, les entremêle sans les modifier. Dans leur recombinaison calculée par l’artiste, bruits, voix, murmures, grincements, souffles, battements et toutes autres vibrations de l’air deviennent des volumes sonores qui habitent l’espace et lui confèrent de nouvelles dimensions. Pour cette exposition, Pierre Thoma a créé trois espaces-sons inspirés de la nature et de ses variations fantastiques. Une grappe de minuscules haut-parleurs, intitulée Elole, ou la nature de l’air, diffusent un mélange de bruissements d’insectes, d’oiseaux, de moteurs de serres botaniques, de vapeur de bateau, et d’autres vrombissements aériens. La nature de l’homme est représentée par deux haut-parleurs formant un dialogue paradoxal entre la voix d’Umberto Eco et celle d’une prostituée. Enfin, la nature de la terre, Gaïa, plonge le spectateur dans des sons d’eaux souterraines, proches de ceux que l’embryon entend dans le ventre de sa mère.
/// Christine Boillat
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