La Ferme de

Benoît Billotte
Bernard Grandgirard
Shannon Guerrico

Fragments d’ailleurs

Bernard Grandgirard a fait trois voyages aux Etats-Unis qui l’ont profondément marqué. Il s’est imprégné des grands espaces désertiques, traversés par les lignes de chemins de fer et les routes que parcourent gigantesques camions et trains mythiques. De retour à Fribourg où il vit, il a continué à faire vivre ses souvenirs par des dessins au trait d’une précision photographique. On y retrouve régulièrement les fameux soixante tonnes aux avants chromés et aux cabines décorées, ainsi que les lignes ferroviaires qui serpentent les plaines démesurées au milieu des montagnes escarpées, sous des cieux à perte de vue. L’artiste n’oublie pas non plus les stations-service caractéristiques et les petites villes aux maisonnettes semblant sortir d’un western. Chaque image est d’ailleurs toujours traitée cinématographiquement, dans la manière originale de représenter espaces et perspectives et de cadrer les sujets. L’artiste utilise en effet avec une grande maîtrise plongées et contre-plongées, plans-séquences et zooms, offrant au spectateur aussi bien des vues aériennes que rapprochées. On l’aperçoit parfois pilotant une Harley, comme dans «Easy Rider» qui est un de ses films culte. Son nom par contre apparaît toujours, raccourci à l’américaine en «Bernie», peint sur une façade, sculpté dans une palissade ou encore disséminé dans le paysage, comme autant de petits morceaux de lui-même qui s’intègrent au paysage. Dans ces somptueux paysages, Bernard Grandgirard a construit virtuellement sa maison en rondins traditionnels, une chaise à bascule sous le porche et une moto parquée devant, promesse de grandes virées.
Benoît Billotte répertorie les lieux, plans et topographies des endroits qu’il visite pour ensuite les conceptualiser en dessins qui peuvent prendre la forme d’installations ou se transformer en objets. Il restitue ainsi dans un contexte nouveau des architectures, des relevés géographiques ou des planimétries pour en relever l’essentiel des lignes et l’universalité des formes. A chaque concept correspond une réalisation formelle différente, mettant en œuvre des matériaux intrinsèquement liés à l’idée originelle. La complexité intellectuelle de ses réalisations est toujours désenchevêtrée par l’élégance et l’essentialité de chaque pièce.

Pour cette exposition, l’artiste présente plusieurs œuvres qui se répondent graphiquement et sémantiquement. La série de dessins Les Indes noires est inspirée du roman homonyme de Jules Verne et se compose de deux représentations superposées, l’une en coupe transversale, l’autre vue du haut, montrant un dédale de galeries où le regard peut se perdre. Dans l’espace de la galerie, les mausolées en terre cuite intitulés Thaumasia ou La Dynamique de l’Oubli associent les formes d’urnes mortuaires à celles plus imposantes de monuments funéraires, dont la fragilité du matériau employé fait écho à l’évanescence du souvenir. La grande tenture Mirabilia reprend les éléments géométriques des peintures murales romaines organisés autour d’un espace central s’ouvrant comme une fenêtre. L’artiste y inscrit ici un plan de ville jouant avec le nombre d’or. Ces trois séries sont reliées par un tracé au sol, nommé Portulan d’après les anciennes cartes de navigation, qui dessine dans un rayonnement de traits un itinéraire imaginaire d’une œuvre à l’autre.
La série Bifröst que Shannon Guerrico présente ici est issue de deux voyages successifs en Islande. Lors de son premier séjour, effectué en 2015, elle est incapable de prendre une photo, tant elle a l’impression que tous les clichés ont déjà été faits et ressembleraient trop à des images de calendrier. Elle s’intéresse alors à l’histoire des Vikings qui ont colonisé cette contrée et se met à regarder le ciel en se disant qu’il ressemble certainement à celui que ces anciens habitants voyaient. A l’aide de son scanner, elle capte des fragments de cieux qui révèlent à l’impression des couleurs surprenantes. De retour en Suisse, elle crée des objets qui deviennent comme des bribes d’histoires mythiques, de légendes et autres récits. L’artiste part une deuxième fois en Islande, en 2016, et cette fois ose prendre des photos, du bout de l’objectif, semble-t-il, et affine ses impressions tout en récoltant du matériel.
De cette expérience Islandaise, elle ramène du matériel pour deux expositions, dont une à Montpellier, où l’artiste crée un univers à mi-chemin entre la présentation d’un pays inconnu et un musée des curiosités. A la Ferme de la Chapelle elle présente des vues du ciel intercalées d’objets, tandis qu’une foule de masques de phoques pontent leur museau vers le visiteur qui se hasardera dans la crypte.
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